La traversée du siècle
Nous avons enfin quitté Yangon direction l’Inde et plus précisément Calcutta. Nous avons essayé de jouer au plus fin et ne prendre notre billet Calcutta-Katmandou qu’au dernier moment à l’aéroport en se disant que ce serait peut-être moins cher. Bon c’est raté et on commande nos billets directement sur internet. Douze heures à attendre dans l’aéroport! Nous avions eu l’espoir que ce soit comme à Yangon avec une multitude de magasins accessibles. Rien du tout. En somme l’attente est longue mais nous trouvons quand même de quoi brancher notre PC.
Voici enfin l’heure du check-in, un vrai parcours du combattant. Si Diane passe sans problème pour une fois, ce n’est pas mon cas. Je dois vider mon sac et l’agent a failli faire tomber mon appareil photo. Je me fait confisquer un briquet resté là, il analyse ma poire pour nettoyer mes objectifs et veut confisquer mon micro tournevis à objectif. Oups ! La sécurité dans les aéroports varie tellement que je suis passé sans problèmes à Yangon avec le même sac. En bref mon billet est annulé, je dois repartir au check-in pour mettre mon tournevis dans le bagage d’un inconnu (je le récupère par la suite). Je repasse les contrôles et nous voilà dans le terminal.
Une arrivée rafraîchissante
En route pour Katmandou. À l’arrivée c’est passage obligatoire sous un brumisateur de jardinage qui nous asperge d’alcool (bien sur tout le monde se demande ce que c’est , de ce fait on a tous tourné la tête et on a tout pris dans les yeux) puis prise de température. On fait la connaissance de Marie et de Lou, avec qui on partage un taxi en direction du quartier de Thamel et de notre hôtel, où on se repose un peu car la nuit a été pour le moins très courte.
Si vous en avez un jour l’occasion, allez au restaurant ACE Himalaya. Les prix sont plus que raisonnables et la nourriture excellente (les buff momo sont à tomber).
L’unique journée d’organisation
Le lendemain on désespère de trouver un endroit pour prendre le petit déjeuner. Tout est fermé car ici les commerces ouvrent vers 9 h. Mais on finit par se régaler dans une petite enseigne avec une déco nous rappelant de petits troqués. Puis la course commence, rendez-vous au Népal Tourism Board pour faire nos cartes de trek et d’accessibilité au parc national des Annapurna. Affranchis de nos droits d’entrée, on continue notre route vers un supermarché dans le but de trouver quelques fruits secs et barres de céréales (on conseille de sortir de quelques kilomètres de Thamel pour trouver de quoi se ravitailler à des prix beaucoup plus attractifs).
Par la suite, j’achète donc une paire de chaussettes en mérinos et un pull polaire, Diane prend des bâtons de marche. Et ensemble nous choisissons des bonnets loufoques pour notre traversée des montagnes. Il est maintenant temps de préparer notre paquetage. Pour nous deux, nous ferons ce nouveau défi avec un sac de 50l et un de 20l. Même avec le peu d’affaires, les sacs nous paraissent étonnamment lourd jusqu’au jour du départ. On ne peut plus optimiser quoi que ce soit et on fera avec. Et surtout nous partons en autonomie sans guide!
Trek des Annapurna
Jour du départ c’est parti !
Après quatre km à pieds nous arrivons à la station de mini bus pour Besisahar qui sera le point d’entrée de nos aventures. (Prix 500 rps/personnes durée 6h). Notre conducteur est l’exact sosie du génie d’Aladin (sauf que sa peau n’était pas bleue mais tout le reste y était : boucles d’oreille, bidon, faciès et chevelure).
Il est 15 h quand on arrive. Premier objectif : trouver à manger car nous n’avons rien petit déjeuner ce matin et il se fait faim. Après un très bon et copieux fried rice, on décide de tenter de rejoindre Bhulbhule, le premier village du circuit. Du coup on entame notre première marche de 9 km et mettons 2 h 16. A savoir que beaucoup de personnes prennent un bus de Besisahar pour avancer un maximum sur le circuit et squeezer les premiers villages: bandes de fainéants !
Au loin on aperçoit les premières montagnes enneigées. Sur laquelle va-t-on monter se demande t-on ? La rêverie laisse place à la réalité du paysage campagnard. Ici les terrasses de culture sont encore labourées avec des bœufs. L’odeur citadine a laissé place aux fragrances des élevages bovins et des chèvres. La campagne quoi, nous revivons ! On traverse des ponts suspendus au dessus des rivières. Nous avons l’impression d’avoir la piste pour nous et il est agréable de marcher dans cette nature jusqu’à Bhulbhule. On y trouve une guesthouse rudimentaire mais avec une vue splendide sur les hauteurs. De l’autre côté de la rivière on entend des tambours. Cela dure même toute la nuit : rite chamanique, sacrifice de chèvre… on ne le saura jamais.
Jour 2 Bhulbhule – Chamje 7 h 30, 22 km
Nous avions convenu de commencer doucement ce trek. Mais nous n’avons pas tenu paroles et à vrai dire on a pas mal ramassé. Nous slalomons entre les escaliers abrupts et les pistes difficiles à suivre car entrecoupées avec les routes de Jeep et bus. Mais la vue des plaines verdoyantes et la diversité du panorama est bucolique. On croise énormément d’enfants qui nous demandent des bonbons, chocolats et crayons avec insistance. On fera tout au long des 15 jours face à la mendicité infantile allant même à ouvertement nous demander de l’argent.
Au midi nous regardons les cartes des restaurants, elles affichent les mêmes menus, qui sont soit disant imposés par le département touristique. Par la suite, on constatera que ces mêmes plats sont plus chers dès qu’on monte. Nous refusons gentiment de manger à un endroit sous les sollicitations obstinées du maître des lieux. Plus loin on se fait accoster par un homme : Pastor Ghele. Il possède un tea shop et un atelier de réparation de chaussures. Il nous propose de manger là et goûtons notre premier Dal Bhat avec les légumes du jardin ainsi qu’un ginger milk tea. J’ai même le plaisir de goûter la gnôle locale. Une belle rencontre mais il faut reprendre la route, des perruches vertes aux queues jaunes nous offrent un balai aérien et la succession de cascades agrémentent la vue.
Après une longue journée on arrive à Chamje. Nous négocions notre chambre gratuite contre le dîner et le petit déjeuner. Nous sommes seuls, on ne croise pas énormément de gens sur la piste et dans les auberges. Le coronavirus y est pour quelque chose car les frontières se ferment peu à peu.
Jour 3 : Chamje – Timang 18 km, 8 h 15
Après une bonne nuit on reprend la route. On commence sur une voie de Jeep mais pour un bref instant. Une fois sur le chemin de trekking on commence le jeu des grimpettes et descentes qui n’est pas de tout repos. De temps en temps en surplomb de la route et d’autres fois en dessous. On commence par monter des marches encore une fois et arrivés à un palier Diane dit « Oh regarde il y a des singes ». Vous savez comment on aime ces « gentilles » bêtes. Mais ils sont loin, un peu différents de ceux vus auparavant. En effet, sans doute dû à l’altitude leurs poils sont longs. Ils sont même d’une fourrure bicolore et vivent en bande sans se soucier de notre présence.
Arrivé à une intersection on prend le chemin indiqué par notre GPS mais après quelques kilomètres et une montée nous croisons un type en scooter. Il nous acène de « wrong way, wrong way ! ». De quoi nous mettre le doute sur notre itinéraire d’autant que la vue est fort sympathique. Mais obstinés que nous sommes nous continuons et trouvons le chemin que nous attendions (Moi par la route, Diane en voulant coupé à travers des fourrés). Je pense qu’hormis la route et les déplacements motorisés les gens ne savent pas trop pourquoi des touristes viennent en vacance pour Marcher (un grand classique en Asie). Du coup pendant qu’on prenait notre temps nous voyons tout le monde nous dépasser. Non pas par la voie du trek mais par la route car quelqu’un a visiblement dit que la route n’existait plus où était dangereuse à cause d’éboulements, que nenni!
Début des bonnes rencontres
À mi-chemin on s’arrête au ravitaillement, prenons un thé et un plat de riz blanc. Nous rencontrons et discutons avec un groupe de 4 français, sur les fermetures des frontières népalaises et indiennes. Mais trêve de palabres on doit encore avancer. Les derniers kilomètres sont interminables, 3 heures sous une pluie battante. Nous pensons que passer par la voie des Jeep à ce moment pourrait nous faire gagner un temps précieux. Néanmoins la route a été retracée, nous avons donc fait un détour du double de distance, ce qui n’est pas pour nous enchanter.
La chaleur « chaleureuse » locale
Enfin on arrive à Timang: chambre gratuite si on mange, douche chaude et feu de bois pour sécher donc on prend place. Mais quelle déception ! La douche pour commencer devait avoir un détecteur à savon. C’est à-dire que lorsque nos mains attrapaient le savon, l’eau chaude se coupait sans jamais revenir. Bon la douche 2, nous 0. C’est donc bien refroidi qu’on se dirige dans la cuisine de la Guesthouse pour se réchauffer avec un thé et devant une écuelle à charbon incandescente. Cela fait un bien fou, nous sommes entre les femmes et les enfants qui sourient.
Mais après 15 minutes l’homme de la maison arrive et le ton change. Les sourires laissent place à un silence pesant. On commande à manger et nous sommes priés d’aller dans la salle repas pour invités hors de la cuisine et non chauffée. Nous avalons notre repas rapido et allons nous coucher dans notre chambre frigorifique elle aussi. Un courant d’air n’a cessé de traverser la pièce, autant dire que nous avons eu froid.
Mais comme il ne peut y avoir que des ombres au tableau, la vue au petit matin est magnifique. Cela fait 7 mois que nous avons des températures chaudes et des paysages tantôt verts tantôt désertiques. Donc la neige est quelque chose d’inédit, et de spectaculaire à ce stade. De vrais gosses je vous jure !
Jour 4 Timang – Dhikur Pokhari 19 km, 5 h 30
Après un petit déjeuner dans le froid mais avec des affaires sèches, on profite des sommets enneigés. Quelques photos plus tard et une fois notre paquetage prêt, nous décollons. La météo est avec nous ce matin. Un beau temps pour éclairer de ravissants paysages. Contrairement aux jours précédents, nous passons par de petits villages. Ceci nous ravis car au petit matin on voit s’afférer les locaux dans leurs tâches quotidiennes. Notre itinéraire nous fait passer par la ville de Chame. En opposition aux autres villes celle-ci est plus grande, quelques échoppes bordent la route et nous en profitons pour prendre un petit snack. C’est-à-dire deux samossas à base de pomme de terre et de maïs. Comment arrivent t’ils à rendre cet encas si délicieux?
On retrouve en chemin notre groupe français de la veille : Paul, Valentin, Flo et Ronan. On partage un bout de route ensemble à une allure endiablée, ponctuée par quelques pauses photographiques. Puis à la dernière halte ravitaillement on décide de continuer à marcher car le temps commence à changer. Il est prévu de la pluie en début d’après-midi, il n’y a pas de temps à perdre. On traverse alors des chemins dans les pins au milieu des pics montagnards couverts d’une pellicule blanche. La pluie n’est pas au rendez-vous mais la neige fait son apparition. Pour nous c’est préférable car ça nous permet de rester au sec et on a encore 2 heures de route.
Les dangers de la montagne
Arrivés à Dhikur Pokhari, on trouve rapidement une auberge. Et petit plus il y a un poêle à bois dans la salle commune ainsi qu’une douche chaude. Bref le grand luxe. Nous discutons avec des allemands, des anglais et un russe. Malheureusement les allemandes sont montées trop vite en altitude et ont fait un mal des montagnes, car elles n’ont visiblement pas respectées la journée d’acclimatation. C’est triste d’en finir sans avoir été au bout de l’expérience, du coup on fera attention à nous. Une autre personne a perdu son groupe et fait donc demi tour. Mais pour l’heure fêtons autour d’un bon repas et d’une tisane notre arrivée à 3060 m d’altitude !
Jour 5 Dhikur Pokhari – Manang 19 km, 7 h 35
Bonne ou mauvaise idée d’être resté dans ce village ? Après une nuit d’orage, la neige n’a pas cessé de tomber. Surprise ! Trente à quarante centimètres de neige. Je suis en joie car mes chaussures sont basses. Du coup atelier bricolage, je demande à la propriétaire si elle possède des sacs plastiques pour confectionner des guêtres de fortunes. Puis on s’élance à la poursuite de Rachelle et Tobby nos deux anglais, qui nous tracent la route dans cette poudreuse immaculée. Des petits moutons blancs dans les branches des sapins, le crépitement sous nos pas, le soleil et la faible fréquentation nous offrent une randonnée pastorale.
Et dire que la semaine dernière nous étions à Bagan au Myanmar et que nous sommes passés de 36 °C à des températures comprises entre -6 et -16°C. Nous qui rêvions de neige, nous sommes servis. Un peu trop même car notre progression est lente. Fort heureusement à Lower Pisang je trouve des guêtres.
À Humde on aperçoit le temps s’assombrir. Fort heureusement dans notre dos et non pas en direction de Manang, notre destination, mais on accélère le pas jusqu’à l’arrivée.
Manang est une ville d’alpage aux hôtels de pierre et de bois. On sent ici un négoce bien ancré car nous peinons à trouver un logement gratuit en échange de la prise des repas. La tâche ardue accomplie c’est le temps du bucket challenge. Les canalisations étant gelées c’est au sceau d’eau qu’on se lave. Une vrai partie de plaisir dans le froid environnant.
Corona es-tu là?
En discutant avec les propriétaires nous avons le droit à « ici vous êtes en sécurité face au Coronavirus ». Plein de bonnes intentions on leur dit qu’on est français (gros blanc)… et après que 3 anges soient passés on précise qu’on voyage depuis 7 mois. Ok pour le coup on garde pour nous le fait d’avoir traversé la Chine, il ne faut pas non plus qu’on se fasse mettre dehors.
J6 Manang
Comme nous ne voulons pas faire les malins nous restons ici. Cependant ce n’est pas pour se la couler douce car nous devons nous adapter à l’altitude.
Trois spots s’y prêtent :
- Le Tilicho lake à 4919 m d’altitude. (Pour nous fermé à cause de la neige)
- Le Ice lake à 4600 m d’altitude. (Impraticable à cause de la neige)
- Le view point du Gangapurna lake à 3750 m d’altitude. (Celui que nous faisons par défaut)
La montée sans sac est fastidieuse. La vue donne sur la vallée, et au sommet on façonne un Knjut des neiges (tout aussi malfamé que son homologue européen). Et si la montée s’est avérée difficile que dire de la descente ? De prime abord risible car nous glissons et tombons à chaque virages. Enfin Diane surtout. Mais au bout de la trentième fois l’humour n’est plus au rendez-vous. La fatigue et l’énervement remplacent la bonne humeur.
Une fois au village nous déjeunons, faisons le tour des boutiques en quête de gants et de fromage de Yak. On croise alors des Joséphine aux longues cornes (oui la Joséphine est une biquette ou encore une bonne chèvre) dont une cherche à grimper sur une échelle. Et dans la faune locale on observe également une horde de mules ou poneys. Un village bien vivant et assez cocasse.
Après tant d’efforts on se prélasse au soleil et séchons nos habits et chaussures. L’instant dégustation commence. Le fromage de Yak a la texture d’un morceau d’emmental et se rapproche du goût d’un Babibel. En somme on n’est pas conquis mais ça reste du fromage après tout.
J7 Manang – Cheri Ledar 11 km, 5 h 15
Le souci quand il neige c’est que la fonte s’effectue l’après-midi. La nuit le tout gèle et ceux pour le plus grand bonheur des fesses de Diane. Plus de peur que de mal, à ce stade nous avons un séant encore bien entretenu.
Il est encore tôt sur la voie mais on croise déjà des marcheurs. La boue de la veille a laissé place à une mixture gelée. Ce qui n’est pas pour nous déplaire car cela évite de noyer nos chaussures. Sur les chemins à flanc de montagne on croise quelques yaks qui, sans doute sont à peine éveillés, bougent en mode slow motion.
Le nombre de kilomètres n’est pas élevé aujourd’hui mais l’ascension est longue et éreintante. Nous franchissons nos premiers passages à 4000 m. Et ce n’est pas sur des skis mais bien à pied avec tout le barda sur le dos. Malgré l’envie de continuer les pauses sont fréquentes. On ne résiste pas à s’assoir pour commander une soupe de noodles pour reprendre des forces. Ah ! Bah non enfaite pour 250 roupies des noodles instantanées vendues à 17 roupies en grande surface on estime donc que l’eau chaude est chère. Aller on continue et nous arrivons à Cheri Ledar, les logements se faisant plus rare nous y rencontrons plus de monde.
Tous un poêle dans la main
Autour du poêle de la Guesthouse on fait la connaissance de Théophile. Un jeune français de 21 ans venu au Népal pour réfléchir sur son avenir tout en accomplissant ce parcours. Malheureusement il ne souhaite pas jouer aux cartes avec nous. Il faut dire qu’à la manille Diane l’emporte plus que de raison c’est agaçant. Lorsque la nuit tombe nous mangeons tous ensemble cependant les guides ont du mal à garder le feu allumé. C’est à coup de pétrole qu’ils ravivent la flamme en en mettant au passage une bonne louche dans les chaussures de ma chère et tendre. Donc en plus de sentir le yak elle sentira l’essence. Un cocktail détonnant qui met à mal nos récepteurs olfactifs donc nous allons nous concentrer sur d’autres sens tel que la vue. Et ça tombe bien car à cette altitude sans nuages et sans sources lumineuses le ciel se dévoile.
Changement d’objectifs photo, trépied et batterie me voilà prêt à capturer les étoiles. Un spectacle singulier qui nous émerveille ! Diane « je n’ai jamais vu autant d’étoiles dans le ciel. » Et c’est peu de le dire !
J8 Cheri Ledar – Thorong-la High Camp 6 km, 4 h 17
D’ailleurs ce matin les guides ont fait tourner un oxymètre de pouls portatif. De quoi vérifier notre teneur en oxygène dans le sang. Après deux mesures je me situe entre 93 % et 85 %, plutôt pas mal compte tenu de l’altitude. Quant à Diane la valeur affichée est de 73 % au repos. Il nous reste encore 1000 m de grimpette donc de petits conseils s’imposent du genre « pense à respirer hein ! » (Oui je n’avais pas mieux).
Altitude | Résultat de SpO₂ en % | Conséquences pour la personne |
1500 – 2500 m | > 90 | Pas de mal des montagnes (en général) |
2500 – 3500 m | ~ 90 | Mal des montagnes, adaptation recommandée |
3500 – 5800 m | < 90 | Apparition très fréquente d’un mal des montagnes, adaptation impérative |
5800 – 7500 m | < 80 | Hypoxie sévère, seul un séjour limité dans le temps est possible |
7500 – 8500 m | < 70 | Danger vital aigu immédiat |
*https://santeconnexion.com/content/18-la-saturation-en-oxygene
Bon autant être honnête tout de suite : on en a bien eu pour notre grade ! Petits chemins à flanc de montagnes, traversée d’une rivière sur un pont suspendu mais surtout… surtout de la montée. Le manque d’oxygène se fait cruellement ressentir pour nous deux. Chacun se passe devant avec les autres randonneurs mais le chemin de plus en plus petit n’aide en aucun cas ces manœuvres. On croise de nombreux yaks qui doivent soit s’éveiller après leur nuit polaire, soit être complètement stones après avoir brouté du cannabis. Nous apercevons aussi des bouquetins qui se dorent la pilule au soleil.
La course d’escargots
Nous arrivons à Thorong Phedi (4540 m d’altitude), on décide de prendre une petite pause avant d’attaquer les derniers kilomètres de montée pour rejoindre Thorong-la High Camp (4800 m d’altitude). Quelques minutes de pose nous suffisent mais beaucoup de gens restent à cet endroit pour passer la nuit. Disons que la montée est éprouvante, environ 1 h pour 1 km. Malgré l’acclimatation effectuée à Manang chaque pas est lourd et intense. Mais nous avons bien fait car cela nous enlève une heure de marche pour rejoindre la passe demain matin.
Nous prenons place dans l’hôtel du High Camp. C’est ici le seul hôtel et ayant le monopole le prix est élevé, autant pour la chambre que pour les repas. Et le personnel est assez mal aimable. Entre le Pascal Obispo népalais et son pote Joey Rasta Star nous étions servis. Repas en avance de plus d’une heure, lourde insistance pour se mettre près du poêle qui pu l’essence, pour commander le petit déjeuner selon l’heure de leur bon vouloir. Et le comble a été de devoir aller se coucher à 19 h 30. Une belle comédie qui nous laisse coi et un brin amer. On déplie nos sacs de couchages et nous passons une nuit assez confortable on doit l’avouer jusqu’à l’aube.
J9 Thorong-la High Camp – Muktinath 14 km, 9 h 15
Si tous les guides, porteurs et leurs touristes quittent l’auberge aux environs de 4 h du matin, nous préférons commencer l’ascension à la lumière du jour. En effet, le froid a eu raison des batteries de la lampe frontale. En ouvrant la porte de notre chambre on se rend compte qu’il a bien neigé la nuit dernière. Une dure journée de glissades et de gamelles nous attend.
Petit déjeuner à 5 h 30 et départ à 6 h 15. Théophile est déjà parti avec son guide mais nous sommes accompagnés de Valentin et Paul pour la journée.
Après quelques cinquantaines de mètres on se rend compte de la difficulté de la piste. Seuls et sans guide on doit se fier aux traces supposées des randonneurs précédents. Mais la neige fraîche et les congères effacent tout sur leur passage. Je double une américaine/chinoise paniquée de ne voir aucune traces et ouvre la voie à une file de touristes. En outre il faut faire attention où poser le pied car un faux pas et c’est une glissade, voir une chute, de plusieurs centaines de mètres.
Un Sherpa pas cher
La lueur du jour apparaît et éclaire notre chemin. Arrivés à un pont je somme Diane de me laisser porter son sac à dos en plus du gros. Difficulté à respirer par le manque d’oxygène, effort musculaire intense lui occasionne une hypoxie et notamment une hypercapnie qui lui fait tourner la tête. C’est une vrai tête de mule mais c’est ensemble et après 4 h de pas lourds que nous arrivons au bout ! Enfin au plus haut point de passage.
Nous exprimons notre joie avec les copains, nous y sommes 5416 m ! Bon sang on a commencé à 760 m d’altitude et parcouru 130 km en 9 jours.
Elle descend de la montagne… en Foot-luge
On doit faire vite car le temps change rapidement donc après une séance photo méritée il faut effectuer la longue… très longue descente. Abrupte par endroit, on s’enfonce même jusqu’aux genoux à d’autres et faisons du footluge dès que c’est possible. Mais qu’est-ce donc ? Disons que par soucis d’économie d’énergie et de fainéantise nous arrivons à glisser sur certaines portions de chemin comme dans un toboggan. Et 3 heures plus tard nous voici aux portes de Muktinath à 3800 m d’altitude soit une descente de 1616m en 3 h. Un petit arrêt pour prendre un thé et souffler s’impose.
Bref car le temps continue de changer et vire soudainement dans une tempête de neige avec un vent à décorner les yaks. Requinqués on se jette corps et âmes dans une course contre la montre pour nos derniers kilomètres. A tel point que nous faisons des portions en courant. Finalement on s’installe tous les quatre dans une auberge, et profitons d’une douche extrêmement chaude, d’un grand Thermos de thé, de notre jeu de cartes et enfin d’un Dal Bhat. Nous ne faisons pas long feu ce soir et en vainqueur allons rejoindre Morphé.
J10 Mutkinath – Jomson 20 km, 6 h 30
Bon sur cette partie changement de décor, c’est-à-dire de la boue et une route de pierres et cailloux. Il est dur de trouver l’appui adéquat en posant le pied. La vallée est sèche et visuellement moins belle qu’espérée. De ce côté le chemin de trek a disparu et a laissé place aux routes de jeep. Une fois le col franchi et l’objectif atteint (faire sa photo pour son compte instagram), peu de gens prennent la peine de continuer le trek à pied et prennent des bus.
Nous n’avons pas de faits marquant pour cette journée, si ce n’est que nous avons trouvé à Jomson une boulangerie avec quelques pâtisseries qui nous servent de réconfort tant nous avons mal aux pieds. Nous dénichons une auberge complètement vide mais la femme ne nous propose qu’une « chambre » pour nous quatre. Ce sera donc une pièce avec juste la place pour 4 lits simples, une ampoule et des souris. La ville est déserte et il n’ y a quasi aucun touristes.
J11 Jomson – Kalopani/Lete 26 km, 8 h
Aujourd’hui nous franchissons des paysages du même genre que la veille. Puis nous sommes touchés par les chemins qui traversent des cultures de pins. A la croisée d’un chemin nous rencontrons Eve et Dorothée, deux française qui comme nous quatre font le circuit à pied.
Les flèches de randonnée sont de moins en moins bien indiquées. On doit s’en remettre à notre GPS et au sens de l’orientation de Diane. Qui je vais vous dire un secret s’est fortement amélioré quand il n’y a pas de golf à proximité. La route nous conduit sur des sentiers proches d’habitations perdues au milieu de nulle part. On fait une halte thé au soleil chez un particulier. Il doit voir notre fatigue et nous installe des peaux de moutons à même le jardin. Diane en profite pour s’amuse avec un chiot en regardant les personnes tresser des barrières avec des fils de fer. Ils sont doués et rapides. Puis quelques kilomètres plus loin nous arrivons en groupe de 6 dans le même hôtel.
Chose rare nous avons enfin la Wi-Fi après 11 jours sans. Les nouvelles ne sont pas réjouissantes en Europe ! Du coup maintenant être français à l’étranger n’est plus une bonne chose… Les frontières se ferment petit à petit nous ne savons plus où aller ensuite c’est un peu le désarroi total. Mais remettons ça à plus tard et finissons ce trek en priorité.
J12 Kalopani – Tatopani 22 km, 8h
Ici les chemins de trek ont totalement disparu. Lorsqu’ils construisent les « routes » (chemin de terre praticable en jeep), ils rejettent toute la terre sur le côté et donc recouvrent les chemins pédestres. A peine sortis du village il y a un obstacle sur la route. En effet, suite à un éboulement, un rocher s’est mis en travers et les ouvriers se mettent au travail pour dégager la route. Les bus et jeeps s’accumulent de part et d’autre. On revoit Théo et son guide. Il est quelque peu déçu de son trek guidé car il estime avoir payé un service inutile. De plus la fin du trek s’effectue en bus pour lui, ce qui lui mine le moral le pauvre. Mais bonne nouvelle, à pieds nous nous pouvons passer (leur calvaire a duré plus de deux heures).
Cette portion de route est la plus sympathique depuis le passage du col. A flanc de montagne on passe par divers villages peuplés ou fantomatiques. Entre-temps on s’arrête manger un morceau au midi et continuons la route. Et quelle route ! Des plants de cannabis partout au sol, il n’y a qu’à se baisser pour ramasser (tu m’étonnes que les yaks et les vaches sont stones!). Paul et Valentin nous mettent une sacrée distance aujourd’hui, que nous n’arrivons au fond jamais à combler. Nous cherchons notre chemin à un moment et on traverse un terrain de football où on croise un footballeur connu !
Népalais de la dernière pluie
La pluie refait son entrée en scène avant d’arriver en ville mais nous avons un peu d’animation. On assiste encore une fois à un problème routier avec un accrochage entre un camion benne et un bus. Ils sont fous ces népalais ! Pourquoi s’obstinent ils tous à penser que ça va passer ?
Une fois en ville et sous une pluie battante, on rejoint le groupe dans un hôtel, avant de partir en quête d’un logement à la hauteur de notre bourse. Au détour des auberges, on identifie une allemande déjà rencontré sur la route. Elle a trouvé un endroit familial et rustique avec un certain cachet. La nourriture est très bonne et différente de ce qu’on a pu avoir jusqu’à maintenant. Grace au Wi-Fi les sombres nouvelles affluent, les check points ferment, les hot spring aussi. Bref ce n’est pas la joie.
J13 Tatopani – Chitre 12 km, 5 h 50
C’est reparti pour une ascension, on se reprend 1217 m de dénivelé positif. La fatigue en ce treizième jour est palpable, physiquement et mentalement. Descendre pour devoir remonter, quelle drôle d’idée. Surtout que langue pendue, Diane discute et suit un autre chemin que le mien (elle a réussi à récupérer le fameux chemin de trek en suivant un guide et notre allemande alors que je suivais la route). Toutefois on se retrouve à mi-chemin du sommet.
La vue est plus agréable que la route, la vallée offre un dédale de terrasses de culture au milieu des arbres. Ce tronçon de route est très rural, mais comme stipulé c’est une route et non un chemin. C’est triste de se rendre compte que l’aspect naturel recherché n’existe plus au profit d’aménagements de voirie. On ne trouve plus les flèches et les balises de nos chemins et avançons à tâtons jusqu’à l’entrée de la vallée où nous repartons sur de petits chemins.
On fait une halte thé et fromage dans le petit village de Sikha. Au moment de repartir le temps tourne encore une fois, les distances s’enchainent sous la pluie. Comme Diane le dit : « plouf plouf c’est la fête à la grenouille ». De désespoir on trouve refuge dans un des rares endroits ouverts à Chitre. On rejoint même deux personnes avec qui nous avions passé la soirée dans la petite auberge de Tatopanie. A noter que la petite dame qui nous accueille ce jour est un amour. Nous sommes tous trempés et elle nous allume le poêle à 14 h (au lieu du 17 h habituel). Finalement je crois qu’on aurait pu rester dormir dans cette pièce tellement on était bien, avachis sur des coussins avec notre repas gargantuesque.
L’instant de réflexion
Les mauvaises nouvelles pleuvent, le Népal est en situation de confinement, le LockDown est annoncé pour demain 6 h du matin, il est 21 h…
Mais qu’allons-nous faire ? Rester, partir ? Se confiner où, dans le parc, en ville ? Et nos affaires à Katmandou ? Beaucoup de questions et peu de temps pour y répondre. D’une façon générale ces réflexions nous ont tenu la soirée, postés au coin du feu .
Demain c’est direction la sortie du parc national pour rejoindre Pokhara.
J14 Chitre – Birethanti 22 km
Nous démarrons tôt et continuons la grimpette de la veille pour passer par Ghorepani. Fortuitement on retrouve Eve, Dorothée, Paul et Valentin. Par la suite on prend la route ensemble jusqu’à ce que nos deux bons marcheurs bifurquent direction Ghandruk. Les rhododendrons en fleur égaient le paysage. Cependant le sentier est interminable notamment lorsque l’étape escalier arrive pour se prendre 1725 m de dénivelé négatif. De plus les genoux souffrent et notre moral aussi car ici lorsqu’on croise des villageois, ceux-ci nous dévisagent et se couvrent le visage par des tissus ou des masques. Nous ne sommes plus des personnes, nous sommes définis par notre couleur de peau, notre pays. Covid 19 est inscrit sur notre front : la ségrégation commence !
Arrivés à Birethanti c’est le jeu du choix de l’hôtel. On se sépare des françaises et trouvons un lieu plus simple et nous ressemblant. Puis direction l’ACAP (Annapurna Conservation Area Project) pour avoir plus d’informations. Autrement dit les guesthouse ferment, et les liaisons routières également. Le mieux selon eux est de rejoindre Pokhara dès le lendemain à pied (3 jours de marche) ou de retourner dans les montagnes.
Notre délibération est sans appel, nous souhaitons rester ici le temps de la semaine de confinement. Nous avons la vue, le temps, un toit sur la tête et la sécurité de ne croiser personne (ou les trekkeurs ayant déjà passé 15 jours en montagne soit une quatorzaine). Finalement c’est selon nous le choix le plus judicieux.
Voilà vous savez tout sur ce long récit, ou presque tout. On considère que nous avons fini le circuit des Annapurna ici. On s’en serait passé, mais nous allons parler de notre période de confinement au Népal dans le cadre de notre prochain article. A bientôt pour cette anecdote hors du commun qui ne devrait jamais arriver.
BEEEEEEEEEEEHHHHH SALE BEEEEEEH LA BIQUETTE VOUS BEEEEEEEEH